IA & Droit d’auteur : Chine vs. USA, deux visions du monde ? … pas sûr !

 

L’essor de l’intelligence artificielle (IA) interroge notre conception du droit d’auteur :

Qui est titulaire des droits sur une œuvre générée par une IA ?

L’utilisateur ? Le développeur ? Aucun des deux ?

Des réflexions qui se complexifient d’autant plus lorsque la réponse est susceptible de varier selon le pays et l’appréciation de l’intervention humaine dans la création de l’œuvre générée par l’IA.

 

Du côté de la Chine :

Les tribunaux chinois adoptent une approche relativement souple : une œuvre générée par IA peut être protégée si une implication humaine suffisante dans le processus créatif est démontrée.

La jurisprudence a déjà admis que cette intervention humaine peut notamment être recherchée dans le niveau de précision des prompts rédigés par un humain.

 

Exemple n° 1 : Beijing Internet Court, « Le vent printanier », décision n° (2023) Jung 0491 Min Chu 11279 :

le vent printanier

1 : « Le vent printanier », M. Li

Li a rédigé 25 prompts positifs et 120 négatifs, il a aussi précisé la hauteur, la graine aléatoire afin de générer la 1ère image, pour arriver à l’image finale (image n°4) en utilisant StableDiffusion®.

Le choix des prompts, la création du personnage, le paramétrage, le réglage et ensuite la sélection de l’image finale ont démontré l’investissement intellectuel de M. Li et ce dernier s’est vu reconnaître la qualité d’auteur sur l’image.

 

Exemple n° 2 : Tribunal Judiciaire de Changshu, « Cœur à Cœur », décision n° (2024) Su 0581 Min Chu 6697, 18 octobre 2024 :

Coeur à coeur

2 : « Cœur à cœur », M. Lin

Lin a généré via MidJourney® une image reproduisant un demi-ballon en forme de cœur rouge puis l’a modifiée sur Photoshop®. Ensuite, il l’a réintégrée dans Midourney® pour y ajouter le décor à savoir de l’eau, un pont, des éléments reproduisant une ville et l’a de nouveau modifiée avec Photoshop® pour arriver à son image finale en y ajoutant un filigrane blanc en bas à gauche de l’image.

Pour juger que l’image était protégée au titre du droit d’auteur, le tribunal chinois a retenu que l’image contenait des éléments distinctifs comme une surface d’eau, une ville, un cœur et son reflet ainsi que des bâtiments.

 

Du côté des États-Unis :

Pour l’U.S. Copyright Office (USCO), pas de protection sans intervention humaine significative. Or, pour cet Office, la rédaction de prompts, même très précis, n’est pas suffisante pour démontrer cette intervention humaine significative.

Une œuvre générée entièrement par une IA, sans intervention humaine ultérieure, ne peut pas être protégée par le droit d’auteur. C’est la raison pour laquelle, jusqu’à présent, les décisions de cet Office étaient très restrictives.

 

Exemple 1 : En 2022, l’USCO rejette la demande de protection de Jason Allen’s pour l’œuvre « Théâtre d’Opéra Spatial », générée par IA.

3 : « Théâtre d’Opéra Spatial »

 

Exemple 2 : En 2023, Kris Kashtanova obtient une protection au titre du droit d’auteur, mais uniquement concernant le texte et la compilation de la bande dessinée « Zarya of the Dawn », à l’exclusion des éléments générés par IA.

 

Exemple 3 : Toujours en 2023, dans la décision « Rose Enigma », l’USCO reconnait des droits d’auteur, mais uniquement pour les éléments de l’image créés directement à la main par l’auteur personne physique.

4 : « Rose Enigma » croquis (à gauche) et œuvre finale modifiée par IA (à droite)

 

Toutefois, il semble que cette position stricte connaisse  un assouplissement récent : 

Le 30 janvier 2025, l’USCO a accordé la protection au titre du droit d’auteur à l’œuvre intitulée « A single Piece of American Cheese », réalisée grâce à la société américaine INVOKE, qui a développé une IA permettant aux utilisateurs de générer des œuvres grâce à leurs propres contenus.

5: « A single piece of American Cheese », Kent Keirsey, 2024

 

En 2024, l’USCO avait opposé à INVOKE AI un refus de protection de l’œuvre par le droit d’auteur, fondé sur le manque de paternité humaine.

INVOKE et son CEO, M. Kent Keirsey, ont apporté des preuves, notamment sous la forme d’une vidéo en accéléré, afin de démontrer la participation de M. Keirsey au processus créatif. INVOKE a utilisé un modèle SDXL générant 3 images, puis M. Keirsey a sélectionné une image et utilisé la technique de l’inpainting (permettant de ne régénérer qu’une partie de l’image tout en conservant le reste) pour modifier 35 fois cette image.

 

Deux approches, deux philosophies différentes au départ mais qui au fur et à mesure des décisions se rapprochent !

La vision humaniste du droit d’auteur est toujours présente, mais les tribunaux et offices semblent de plus en plus prendre en compte le nombre d’itérations, et donc la précision des prompts, ainsi que le choix des outils utilisés.

Le droit d’auteur français est un droit humaniste qui accorde une place prépondérante à l’auteur personne physique. Nous sommes donc actuellement dans l’attente d’une première décision française, pour découvrir quelle sera la position adoptée par les tribunaux nationaux.

 

Publié le 05/08/2025